Le terme Kung fu (ou Gong fu en mandarin) renvoie à une notion de "maîtrise acquise par le travail". Ce terme n'est donc pas uniquement lié aux arts martiaux (un cuisinier peut avoir un bon "kung fu" !).
Hommage à Maître Chang
Maître Chang Dsu Yao (deuxième nom Chang Ch’ eng Hsun) est né le 15 juin 1918, en Chine, à P’ ei, dans la province de Kiang Su ; l’ un de ses ancêtres était un moine du temple de Shaolin. Il venait d’ une région riche en traditions concernant ce temple mythique, histoires transmises de génération en génération, souvent racontées par le maître Chang lui-même.
A l’ âge de trois ans les parents du petit Chang l’ emmenèrent voir des exercices de Kung Fu dans un gymnase. Bien que très jeune, il fut tellement impressionné par cette visite que, sur le chemin du retour, il essaya immédiatement de mettre en pratique ce qu’ il avait vu (à ce propos le Maître Chang racontait les bagarres avec son frère aîné avant d’ aller dormir). à l’ âge de six ans, il fut présenté par ses parents à Liù Pao Ch’ uin (1877-1973) un grand maître de Shaolin Mei Hua Ch’ uan (littéralement "de la fleur de prunellier"). Maître Chang racontait : "Liù Pao Ch’ uin, devant moi, demanda à mes parents si j’ étais un bon fils, et si j’ étais respectueux envers eux. Mes parents répondirent oui et le maître m’ accepta comme élève". Depuis lors, ses parents, d’ origine riche et noble, payèrent le maître Liù Pao Ch’ uin pour qu’ il vienne donner ses cours à domicile. Le jeune Chang adorait tellement le Kung Fu qu’ il commença à s’ entraîner assidûment. Il avait coutume de dire qu’ il n’ était pas d’ accord avec les méthodes de son maître parce qu’ il était trop dur, trop inflexible et très méchant !! Liu Pao Ch’ uin, par exemple, obligeait le jeune Chang à rester immobile dans les postures de Kung Fu pendant très longtemps, le frappant brutalement et le faisant tomber lorsque la posture n’ était pas bien exécutée. La formation avec le Maître Liù Pao Ch’ iu dura sans interruption pendant 22 ans, jusqu’ en 1946.
Durant l’ été, Liù Pao Ch’ uin emmenait ses nombreux élèves au monastère le plus proche pour pratiquer le Kung Fu tous ensemble, pendant un mois. Le Maître Chang racontait que, parmi les enseignants âgés, il y avait Yan Su Wen qui était capable de se lancer en l’ air et de retomber sur sa poitrine ou sur son dos, sans utiliser ses mains. Même pendant son temps libre, le jeune Chang ne pensait qu’ au Kung Fu et s’ entraînait dans le champ à proximité de sa maison. Il aimait raconter qu’ un jour son grand-père l’ observant, assis sur la véranda en fumant sa pipe, resta bouche bée devant le talent de son petit-fils. Il ne reprit ses esprits que lorsque il se rendit compte que sa pipe, tombée de sa bouche, commençait à brûler son pantalon. De même à l’ école, pendant les récréations, le jeune Chang pratiquait le Kung Fu dans les couloirs au lieu de jouer avec ses camarades. Lorsque le Maître Chang voyait des élèves venir à ses entraînements en vélo, il se rappelait en riant, que lui-même utilisait le vélo pour aller à l’ école et qu’ il le chargeait d’ armes pour pouvoir s’ entraîner au Kung Fu. Un jour, il vola le pistolet de son père et sécha l’ école pour aller tirer sur les nids d’ oiseaux. Découvert par ses parents, il fut contraint de rester chez lui, à jeun, pendant trois jours. De retour à l’ école, il fut violemment frappé sur les mains par son professeur devant tous ses camarades de classe. à l’ âge de six ans, le petit Chang vit le Maître Yang Chen Fu, déjà maître de Liù Pao Ch’ uin, enseigner le Tai Chi Chuan sur les places. à 12 ans, Chang commença à apprendre le Tai Chi toujours sous la férule de Liù Pao Ch’ uin.
à cette époque, le jeune Chang fut invité par son maître à lutter contre le nouveau champion chinois de Kung Fu, lui-même ancien élève de Liù Pao Ch’ uin et ancien compagnon de Chang. Ce combat se déroula après les championnats et dans le même lieu. Le jeune Chang exécuta le coup de pied N° 7 (le balayage), mais dans l’ élan, il cassa la jambe de son adversaire ! Un jour, alors qu’ il s’ exerçait au sabre dans le gymnase, il le fit tourner si rapidement que celui-ci lui échappa des mains et alla frapper l’ épaule d’ un élève (heureusement sans conséquences graves). Ses parents furent obligés de payer les frais des soins.
Les années passèrent et le jeune Chang rejoignit l’ Ecole Militaire. Ce fut sa période dorée. Au sommet de sa forme physique, il était capable de s’ opposer à la poussée de dix personnes et d’ en soulever une en utilisant une seule main.
Il avait l’ habitude de rappeler comment il se faisait respecter. Une fois, face à l’ insolent comportement d’ un soldat, il réagit si violemment que la gifle que reçut le malheureux l’ envoya au sol cinq mètres plus loin, avec les cinq doigts imprimés sur la joue. Pendant cette période, Maître Chang eut un accident de moto, le choc fut d’ une telle violence qu’ il fut projeté à une très grande distance. Durant son vol plané il réussit à se retourner de façon à tomber suivant la méthode N° 9 de Shaolin et l’ accident n’ eut aucune conséquence grave pour lui. Il s’ approcha donc du véhicule qui l’ avait percuté mais le conducteur, persuadé de l’ avoir tué fut terrorisé et le prit pour un fantôme.
Il continua à étudier le Kung Fu sous la responsabilité de Chang Ching Po et de Sun Lu Tang. Du premier il apprit le Hsing I et du second le Pa Qua et le Liang I. Par ailleurs, il apprit le Szu Hsiang Ch’ uandu du Maître Fu. De cette période de sa vie, Maître Chang aimait raconter l’ histoire suivante: "Un jour, il alla au marché pour acheter de la viande. Lorsqu’ il se rendit compte que le boucher avait triché sur le poids, il voulut réagir. A ce moment du récit, le Maître reproduisait le geste menaçant du boucher enfonçant violemment son couteau dans son plan de travail. Celui-ci aidé par une vingtaine d’ autres vendeurs du marché sauta sur le Maître Chang qui réussit à se défendre et à l’ emporter sur ses agresseurs. Il racontait l’ aventure en se plaisant encore à imiter leurs grimaces sous ses coups. A l’ arrivée de la police, les agresseurs étaient devenus inoffensifs.
Son supérieur, arrivé lui aussi sur les lieux, ne voulut pas prendre sa défense en public, mais en privé il le félicita". De temps en temps, même pendant la période de l’ Académie Militaire, Maître Chang revenait vers son ancien maître pour apprendre de nouvelles techniques de Kung Fu. Après avoir rejoint l’ armée, il y fit rapidement carrière ; il se maria et eut quatre enfants, deux garçons et deux filles.
Après être devenu colonel dans l’ armée du général Chang Kai Cheik, il fut presque immédiatement mobilisé pour faire face à l’ invasion japonaise au cours de laquelle sa maison fut brulée et ses parents tués.
De la dure et cruelle expérience de la guerre, Maître Chang se rappelait entre autre, que pendant les combats, il devait également se méfier de certains de ses propres soldats ; qu`il était toujours le premier à se lancer dans la bataille et qu’ un jour, blessé à la jambe par une bombe, il n’ attendit pas d’ être complètement guéri pour retourner au front. Parmi les techniques de combat adoptées par son armée, il se rappelait que : "pour effrayer l’ ennemi campé sur une colline, nous l’ encerclions et lancions des cris très forts toute la nuit et tout le jour".
Par la suite, à de nombreuses occasions de son existence, les terribles souvenirs de la guerre (au cours de laquelle il avait toujours été entre la vie et la mort) lui revenaient à l’ esprit. Une fois, à Milan, en passant devant la porte du gymnase, il se rappela le jour où, pour échapper à des japonais qui le poursuivaient il réussit, grâce à la formation de Kung Fu, à franchir un mur de trois mètres de haut, en prenant appui sur ses mains en haut de celui-ci.
Une autre fois, Maître Chang avait pris le train avec quelques élèves pour faire une démonstration de Kung Fu. Il avait amené avec lui quelques sandwiches pour sa "petite armée". Par respect, tous ses compagnons attendaient pour commencer à manger. Le Maître était immobile devant son sandwich quand il s’ aperçut de la demande muette peinte sur le visage de ses élèves ; alors il leur raconta s’ être trouvé dans une situation similaire tandis qu’ il mangeait un sandwich dans un train, pendant la guerre et que soudain il s’ était retrouvé au milieu d’ une violente fusillade.
Quand on mentionnait le I King (le fameux " Livre des Changements "), Maître Chang se souvenait que, pendant la guerre, alors que chaque jour aurait pu être le dernier, chaque matin, il interrogeait le I King pour savoir s’ il survivrait. Il a raconté qu’ une fois il fut le seul de son bataillon à survivre ; sans munitions il dut se défendre seul contre six Japonais, armé de sa seule baionnette. Après avoir esquivé les attaques des deux premiers, il se retourna rapidement pour faire face à un troisième, mais il ne put éviter d’ être blessé par la baionnette d’ un autre. Celle-ci, à cause de la rotation que Chang venait de faire, lui laissa une entaille de 30 cm sur le ventre. Malgré la profonde blessure, il continua à combattre et réussit à remporter une victoire inespérée sur ses six ennemis. Maître Chang montra à certains de ses élèves sa profonde cicatrice sur son flanc.
Toujours pendant la guerre, à la suite de l’ explosion d’ une bombe, Maître Chang, tomba d`un clocher où il s`était caché et fut enseveli sous les ruines du clocher. Il resta enterré pendant des heures sans être en mesure de bouger. Dans la chute il s’ était brisé quelques vertèbres et resta paralysé. Le Maître racontait qu’ il ne pouvait même pas crier pour demander de l’ aide et qu`il fut retrouvé par un coup de chance. Ensuite, il dut se soumettre à de longs traitements aux rayons X qui, bien qu’ améliorant sa situation, lui causèrent un cancer de l’ intestin. Il commença alors d’ autres soins qui l’ aidèrent à guérir, mais lui affectèrent profondément le moral.
à la fin de la guerre, il se sentit fini, exténué et plus rien ne l’ intéressait. Il avait perdu tout espoir quand un jour un ami l’ invita à une démonstration de Kung Fu et à la fin, il fut prié d’ exécuter lui aussi "quelque chose".
Après quelques refus, le Maître Chang se laissa convaincre et exécuta la troisième forme du sabre. Il fut surpris de voir qu’ il était encore capable de pratiquer le Kung Fu. Il reprit de nouveau confiance en lui et recommença à la fois à pratiquer et à enseigner le Kung Fu. Mais la révolution chinoise lui donna le coup de grâce : ancien officier des troupes de Chang Kai Cheik, en 1949 il fut obligé de se réfugier à Taiwan, où il resta pendant de nombreuses années comme professeur dans l’ armée, qu`il quitta en 1973
Mais ne se sentant plus en sécurité, même à Taiwan, en 1975 il accepta un emploi offert par un ami en Italie. Il partit immédiatement avec son épouse. Heureusement, certains maîtres occidentaux de karaté reconnurent immédiatement son talent dans les arts martiaux. La même année, il commença à enseigner à Bologne, puis à Milan (1977). Au cours de ses nombreuses années de séjour à Milan il créa une véritable école de Kung Fu, avec un programme complet.
L’ activité d’ enseignement du Maître Chang a été très intense autant en Italie qu’ à l’ étranger : des cours, des stages, des formations pour enseignants, des conférences, des démonstrations. Son intention était de transmettre l’ ensemble du programme de Kung Fu et son bagage technique immense. Mais au cours des deux dernières années, sa mauvaise santé physique lui rendait la tâche difficile et fatigante. Au point de confier aux élèves qui lui étaient particulièrement proches, qu’ il se sentait comme une "flamme dans le vent". C’ est pendant cette période que, ayant moins de capacités techniques, il se montra celui qu’ il avait réellement été : un guerrier, un combattant. Au mois de décembre 1991, il partit pour Taiwan pour y passer les fêtes de Noël. Mais il ne revint plus. La nouvelle de sa mort parvint à ses élèves au début février 1992.